C’est ça ? Un film.

(On a fait un long avec Isée, Juliette, Rime et Jean-Baptiste : Lettre à John)

Je ne suis pas un militant. Il fallait que je commence par là, je crois. Comme Leo Proudhammer, l’homme qui meurt[1]Sans doute le meilleur livre que j’ai lu de ma vie. de Baldwin, j’ai bien du mal à représenter quoi que ce soit. Heureusement, on ne me le demande pas. Comme Leo, je crois être un peu un artiste. Je ne sais pas ce que ça veut dire, et je ne sais pas l’expliquer à mes parents. J’aimerais vraiment être un type normal, poursuivre des études normales, et ne pas penser à autre chose que si la société va m’accepter. Mais je suis là, hors étude, complètement perdu entre autre, à vivre une vie qui ne sera jamais que la mienne. J’en ai tant de la fierté que de la pitié, un peu honte aussi. Un peu honte de ne pas savoir vivre comme les autres. Hier, je sortais d’une séance d’un film sur un homme qui meurt[2]Le soporifique mais marquant Seule la terre est éternelle., quand je croisai des jeunes. De mon âge sans doute, peut être un peu plus jeunes ? Ils sortaient, ils étaient en groupe à s’amuser ; moi j’étais seul. Ils avaient l’air beaucoup plus jeune que moi, mais ils ne l’étaient peut être pas. Je n’ai jamais eu l’âge que j’aurais dû avoir. Ma jeunesse n’a jamais existé, et pourtant, je suis quand même jeune. Je tatonne, je ne connais personne. J’ai sans faire exprès sauté une étape, trop d’étapes que j’ai enjambées et regardées en riant sur le bas côté, mais trop d’étapes que je n’ai pas faites, et quand j’arrive sur les reliefs d’aujourd’hui, je suis peut être, moins préparé. Comme en randonnée, j’ai des ampoules aux pieds. J’ai du mal, chaque jour, à savoir où je vais. Enfin bon, comme tout le monde.

Faire un premier long, c’est ce que les gens font à 30, à 40, à 50 ans. C’est une étape, justement. La grosse étape, la grosse montée pour laquelle on se prépare des mois, des années, et sur laquelle on arrive, pétri de peur, et d’a priori. Je voyais, partout, ces a priori. Je voyais ces jeunes, des amis, des connaissances, des gens : incapable de voir qu’un film, au fond, c’est rien. On voit des films tous les jours, et certains en pondent 1 par an, et pourtant, on est là, jeune plein d’ambition, à vénerer l’idée d’un long métrage ; à vénerer surtout l’idée du cinéma. « Il faut que ça fasse cinéma » « il faut telle ou telle caméra, tel acteur, tel budget… ». Je lisais alors Cassavetes par Cassavetes[3]Ray Carney, Capricci, 2020. et j’étais surpris d’une idée : Si John vivait encore aujourd’hui, avec les technologies, avec les cagnottes Leetchi ; Si John vivait encore aujourd’hui, il ferait des films sans discontinuité. Evidemment cela est faux, et j’ai trop de respect pour John pour le voir comme un filmeur compulsif, mais j’entendais, comme toujours, un double discours. Les vieux disent : écoutez les gars, vous pouvez filmer en 4K avec un téléphone, quand ils nous fallait tremper des bandelettes dans des solutions acides, c’est facile, tout le monde peut le faire. Les jeune disent : oui, on est content, on fait des vidéos sur Youtube, bye bye la télé. Mais également : « Ha bon, tu veux faire un film ? Ohlalalalalala, il te faut du budget, il te faut…. » Comme si il y avait une dichotomie entre le cinéma et le reste. Comme si, surtout, celle-ci se trouvait du côté de l’image, d’une qualité plastique arbitraire. Je suis le premier à chier sur les séries, je suis le plus rétrograde de tous les jeunes, et justement. J’ai peut être compris ce que certains ne voyait pas : la différence est dans le language, la différence est dans l’ambition. Mais ambition ne veut pas dire grosse caméra, ambition s’autosuffit.

L’été 2021, je participais à des tournages, et j’étais stupéfait de la bétise qui y régnait. On voulait faire du cinéma, quitte à s’endetter. On voulait faire du cinema, alors on était quinze autour de 2 acteurs. Chaque jeune, étudiant modeste et motivé, y tenais alors son petit rôle, comme dans un fabuleux studio system au RSA. « Moi je fais les costumes » disait l’un, « Moi je fais le clap » disait l’autre. Mais tous, au fond, étaient juste là pour être là, pour sentir ce que c’était, peut être, que de faire du cinéma. Alors on avait quinze personnes faisant le rôle de 3. Mais quinze personnes, ça mange, ça rigole, et ça ne fait pas avancer le schmilblick. On fait les plus gros tournages, on en invite tous les potes de ses potes, mais l’actrice est stressée parce qu’il y a 3 de ses ex dans l’assistance. Le réalisateur batifolle, et plus personne n’est responsable de rien. Enfin si, comme dans un studio, chacun est responsable de sa micro tâche, mais personne, au fond, ne se sent responsable du film. Le sous-fifre bénévole arrive, il regarde la salle, et si il y a des lumières et beaucoup de gens, alors on fait du cinéma. La simple vision de la multitude lui suffit, alors qu’en réalité, elle induit juste la dilution.[4]Je ne remet pas en cause la multitude des réels plateaux, je questionne simplement leur transposition à moindre échelle…

Pouvait on faire alors un film, qui réponde à ces problématiques ? Un film, vous voyez où j’en viens, qui sera malgré lui, un peu militant. Hé bien c’est simple : il suffisait de réduire l’équipe au plus petit nombre possible. C’est un film avec 5 personnages, alors nous serons 5. Pas d’acteur, pas de cadreur, pas de sondier : tout le monde fait tout, et on pose un plan fixe quand on a plus le choix. Tout le monde y passe, y compris le réalisateur, qui sera soumis au bon vouloir des autres, comme tout le monde. Je serais soumis à des caméras approximatives, ou à de très beaux plans. Nous serions soumis, tous, au regard des autres. Le -s est important, car si je filme classiquement, avec un cadreur unique, le regard ne sera jamais que celui du cadreur, ou si je suis autocrate, le mien. Mais si mon ami me filme, et que je le filme après, notre regard devient une étude, sans cesse renouvellée, de l’altérité. Il fallait alors que le système soit parfaitement clos, il ne pouvait pas y avoir une seule personne qui en échappe. Il fallait le faire en pur amateur, à l’autofocus, comme si je ne connaissais rien au cinéma.

On dit que chaque film est une aventure humaine, et c’est plus vrai encore pour celui là. L’aventure, n’était pas celle des à côtés, pas celle de l’attente de la nouvelle prise. L’aventure était le tournage même, le dispositif, les regards croisés. Chacun à fait plus que ce qu’il aurait imaginé faire, je crois. Chacun de nous s’est surpris de ses capacités. Non pas que nous soyons sûr de nous, sûr de notre film, mais je crois avoir permis à chacun d’eux, de faire ce qu’il voulait, d’essayer ; mais essayer voulait dire réussir. Nous n’avions pas le temps, 9 jours, et le film devait alors tenir sur un seul mot : la confiance. J’ai confiance que l’autre me filmera bien, j’ai confiance qu’il jouera plutôt bien, car au fond, je n’ai pas le choix. C’est cette confiance, qui était l’attitude du pur amateur. C’est ça le geste, si c’en est un. Et j’aurai tord de dire que j’ai inventé quoi que ce soit, j’ai tout volé, comme à mon habitude. J’écris ce paragraphe bien seul, mais j’espère que eux ont ressenti ça. Je suis parfois dur, je sais l’avoir été, mais j’espère qu’ils me comprennent.

C’est autant notre film, comme cela n’a d’égal dans aucun autre dispositif, que profondément, le mien. Mais c’est sans faire de blague que je dis m’être plié à tous leurs désirs. Evidemment, je faisais mon film, et je l’ai porté de l’écriture à la dernière touche du mixage, mais je l’ai porté en artisan, plus qu’en auteur. Je l’ai porté, animé de l’envie d’en faire un bel objet, d’en faire quelque chose qu’ils aimeraient.

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Ce film n’est pas une grande réussite de réalisateur. Je ne me suis pas considéré comme tel, à vrai dire. Plutôt comme un producteur. J’ai utilisé le réalisateur que j’étais, j’ai utilisé ma tronche, leur tronche, pour former un dispositif de film le plus ambitieux possible avec le moins d’argent possible. Tout était dans le dispositif, et ma vie, mon style, ont été mis au service de ça, comme les leurs. C’est un film qui est fait sur une idée, rien de plus, sur mon article sur John Cassavetes.

Filmer l’autre, filmer l’amour, comme si c’était vrai. Mais je suis trop conscient de ce que j’ai fait. Peut être que c’est ça la maturité, de faire comme si on ne l’avait pas. Au final, j’ai fait un film en moins d’un an. Mon premier film, en réalité, ne m’a pas tant pesé que ça. Et encore une fois, c’est faux, je l’ai porté comme j’ai porté tout le matériel vidéo dans ce putain de train Ouigo à 6 heures du matin. Je l’ai porté, pour de vrai ; mais au final, c’est surprenant. Je ne pensais pas que ça serait vrai. Mais c’est réel, nous l’avons montré. J’espère surtout qu’on va le voir en dehors de nos cercles, qu’il va vraiment exister. J’aborde cette étape en toute humilité. Je suis juste un mec qui arrive en bas de la pente pieds nus. Si l’on m’aide, peut être que je la gravirai, pour eux. Mais si l’on ne m’aide pas, je repartirais bien con, je serais allé jusque sous la montagne, mais pas en haut. On pourra bien dire « mais si, on l’a fait », mais si personne ne l’a vu, ce sera vain. Alors je sais que ce que nous avons fait est exceptionnel, je sais que c’est pas mal de ma faute, mais j’ai encore peur. Peut être que je ne serais pas à ma place pour le restant de mes jours, ou peut être que ce film m’approchera de ce que j’espère vivre. Je suis en attendant suspendu, à ça, à ce film arrivé si vite.

References

References
1 Sans doute le meilleur livre que j’ai lu de ma vie.
2 Le soporifique mais marquant Seule la terre est éternelle.
3 Ray Carney, Capricci, 2020.
4 Je ne remet pas en cause la multitude des réels plateaux, je questionne simplement leur transposition à moindre échelle…

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