Ma passion pour la boue.

Cela a peut être à voir avec mes origines paysannes, ou avec Fouras, et le boueux estuaire de la Charente, mais je semble avoir une étrange passion pour la boue.

Hier matin, je pars dans la chaleur hivernale pour faire un tour à vélo. Objectif : Rochefort, comme depuis des années. Comme depuis des années je fais le même trajet, pourquoi ne pas changer ce matin ? Il y avait un chemin…  Je roule sur du béton puis me retrouve devant un grand chemin de boue. Quelques herbes vertes prometteuses d’accroche, des flaques. Je m’y engage…

« Après tout, ça doit redevenir dur d’ici peu.« 

Ce n’est pas dur, c’est même moins dur… Je m’enfonce, je patauge, je glisse. Mes pieds font un étrange bruit qu’on assimile à rien d’autre d’agréable. Bref, je suis dans la boue, et couvert de boue. Mes perspectives sont assez faibles, l’idée d’un demi-tour aussi. Retraverser tout ce que j’ai déjà fait ? Autant sauter dans la Charente et revenir à la nage… Inlassablement, ma roue décore ma carcasse humaine de boue. Roue, boue, ça rime.

Ce n’est pas la première fois pourtant que je suis dans la boue, à vrai dire j’ai au moins souvenir de ce petit trajet à Manchester, quand j’avais décidé de taper une randonnée dans le Peak District National Park. 8.8 miles, rated hard, they said… « well, I guess hard ain’t meant for me » I thought. Enfin hard anglais c’est pas hard français. Les anglais sont pas très marrant à vrai dire, ils enlèvent même les panneaux. Heureusement pour moi j’avais été récupéré par des entrepreneurs londoniens, on avait bu des pintes et mangé ensemble. Bref, on était dans la boue, et moi en fringues de ville. 

La boue la boue la boue… Mais la boue serait une fabuleuse métaphore de développement personnel, un truc vraiment idiot qui embêtera Marion.

J’ai marché 58 km en une journée, j’ai fait deux fois un même bout du chemin de Saint-Jacques, la seconde en la moitié du temps. J’ai passé un col alpin avec un piteux vélo de course surchargé, j’ai fait quelques trucs que certaines personnes ne feront jamais. Loin de moi l’idée de m’en vanter, simplement d’en partager ma conclusion, mieux vaut aimer la boue.

Lorsqu’on voit les réussites des autres, lorsqu’on voit les artistes qu’on aime, les sportifs, c’est évident. La réussite est évidente, c’est l’homme à son meilleur, l’homme qui performe. Mais oublions le moment de réussite, pensons avant. Avant, c’est l’homme qui court, l’homme qui écrit qui titube qui tombe. Celle qui réussit, c’est aussi celle qui a souffert. Combien j’ai souffert sur mon vélo en ligne droites ? Et en montées ? Combien j’ai pu crier, m’égosiller seul dans la campagne espérant un peu d’énergie. J’en ai chié à mort, j’ai pataugé dans la boue, et seulement là, je peux dire “je l’ai fait”.

Combien s’arrêterait avant moi ? Combien après ?
Combien craquent ? Combien à la première flaque ?

Combien de fois dit-on « c’est pas pour moi » ?

On voit les gens qui réussissent, et alors de l’extérieur on se dit,
– “ha mais lui il y arrive, il sait faire.”
Comme si c’était magique. Comme si Dolan chiait un film le matin en se levant.

Même si l’apparat vous semble parfait, regardez de plus près, vous verrez peut être quelques traces. 

Parfois, on se fait même traîner dans la boue,

Alors goûtez-y, elle a plein de vertus.

Francis Ford Coppola, Photo de Mary Ellen Mark

3 commentaires

  1. Bonjour cher ami,
    quel discours ! C’est bien beau d’aimer la boue, autant faut-il la voir. La boue invisible, pâteuse, visqueuse, comme un marécage d’air et de lumière, c’est ça, la vraie boue. La boue marron, c’est drôle, ça tâche, ça fait slpaoucht quand on saute dedans, tous les enfants l’adore. Moi même, j’ai de nombreux souvenirs avec de la boue jusqu’à la ceinture, comme dirait Graeme Allwright, et de très heureux. Mais l’autre, elle t’empêche très littéralement d’avancer, tes membres ne répondent plus, et, même étant plus visqueuse que la plus visqueuse de la pire des bourbes, elle s’infiltre pourtant dans ton nez et ta bouche, jusqu’à t’asphyxier en te maintenant immobile.
    Je crois que dans ton analogie tu as mélangé les deux boues, non ?

    1. Les deux boues sont les mêmes, seulement de différentes teneurs. Pourtant la boue est toujours franchissable.
      Cher ami philosophe, ne confonds tu pas la boue avec les sables mouvants ?

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