Au mieux, se trouver

Il y a quelques jours, je partais seul à l’assaut des montagnes, à l’assaut des plateaux, à l’assaut du Vercors. C’est un voyage que j’avais préparé depuis des mois, que j’avais trop anticipé. J’en avais parlé à tout le monde, au point d’avoir peur d’en avoir trop dit. J’avais cette peur de recommencer l’échec douloureux que fût le Pays Basque de décembre dernier, où nous étions revenus, avec mon ami, cassés. Alors j’avais passé tout l’été à réfléchir comme un consommateur, à comment marcher plus léger, à comment randonner de manière raisonnée. C’était une réflexion aussi basse que philosophique, qui trouvait sa raison d’être dans le Vercors. En Septembre, rupture. La solitude, tenace. La perspective du Vercors gagne encore en profondeur.

Réveil matinal, j’attends sur la plateforme. Les deux autres hommes de mon compartiment me rejoignent. Le second saigne du nez, du dessus du nez, comme s’il s’était cogné. Quatre personnes descendent du train, il est 5h13, il fait froid.

Dans la gare de Die, il y a une grande balance. Je fais 64kg, mon sac en fait 13. L’homme qui saigne du nez semble aussi vouloir profiter de la chaleur de cet espace confiné, la conversation s’engage. L’homme, c’est Jérôme, il connaît le Vercors. Il me donne quelques conseils, nous parlons gaiement.  Il me dit « Oui, au fond, tu ne risques rien à partir seul. Au pire, de te perdre. » Ses paroles remontent plus tard et j’en arrive à une formule un peu prétentieuse : « Au pire, se perdre. Au mieux, se trouver. »

Je ne peux pas imaginer ma vie sans la marche, sans la randonnée. Elle m’a appris la beauté du monde et un peu d’humilité. Elle m’a appris la rugosité. La beauté de la douleur, de ce qu’on peut s’infliger. Elle m’a appris à parler aux gens, à être moi-même sans me poser de questions, tant de choses que les mots ne font que travestir.

Pendant ces trois jours, je marchais vite, longtemps. Je réalisai le parcours en 3 jours au lieu de 6. Je le fis sans recherche de performance, sans envie de rentrer. Je croisais un homme qui me pris pour un fou, et me dit « prends le temps… », comme un reproche. Il insinua que je ne profitais pas des paysages.

Pourtant, j’étais tellement heureux comme ça. C’était l’expérience que je recherchais, une certaine violence.

La nuit du deuxième jour, au bord du désespoir, j’apercevais deux êtres humains autour d’un feu. Je campais avec elles. Paige et Bethany faisaient le même chemin que moi, à l’envers. Paige vient de Detroit et Bethany du Kentucky. Elles ont 6 et 8 frères et sœurs, et ne connaissent rien au cinéma américain des années 70, celui qui m’émeut plus que tout. Et pourtant, quelle rencontre. Paige est une marcheuse du tonnerre et raconta ses expériences. Bethany était plus en retrait, mais adorait le café. Je la sauvait d’une poudre en lui préparant une tasse avec mon filtre ultra léger.

J’avais du matériel ultra léger et je marchais ultra vite. La situation frôle le ridicule. Et pourtant. J’ai passé dans le Vercors 3 jours magnifiques. Au-delà de mes espoirs.

Montée depuis Die.
Les hauts plateaux.
Descente du Grand Veymont
Le sac de Paige, celui de Bethany, et le mien.

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