Imaginez : des lions, des fauves africains de toutes sortes, tous plus dangereux les uns que les autres. Beaucoup de fauves, peut être une centaine. Ils se baladent dans une maison, ils se baladent dans l’espace humain. Comme si c’était le leur. Comme s’ils habitaient là. N’imagez pas. Le film s’appelle ROAR.
ROAR, c’est un film fait par un fou qui a embarqué sa famille sur le tournage le plus dangereux de l’histoire, un film ou l’on voit, littéralement, un mec courir après des lions qui se battent. Le mec crie. C’est le réalisateur du film. Les lions lui sautent dessus, le poussent, le griffent. Et plus tard, ces mêmes lions l’enserrent chaleureusement. Ce n’est pas un film à vrai dire, c’est la réalité.
L’expérience de ROAR est sans précédent. Et le film ne tient qu’à ça : la tension, inlassable, qui nous maintient : « Vont-ils se faire bouffer ? » Et quand ? Mais les lions, fort heureusement, ont mieux à faire que bouffer les humains, même si 70 personnes furent blessées lors du tournage. (C’est ce qu’on raconte.)
La tension interne à l’image, c’est cette tension qui nous fait chavirer pendant 1h42. Cette tension vient des propriétés de l’image filmique : la captation du réel. Elle ne peut exister ni au théâtre, ni dans la peinture, ni nulle part ailleurs. Elle n’existe même pas en photographie qui omet l’aspect temps, et ne peut montrer qu’une tension arrêtée. Or la tension réside dans l’attente, surement insatisfaite, d’une solution. Une attente irrésolue.
La tension interne à l’image concerne des phénomènes naturels, incontrôlables. Imaginez simplement : un stalactite, une goutte qui s’y forme. La goutte se forme, gonfle, lentement, si lentement. Que le spectateur n’a plus de choix que de garder les yeux ouverts, de rester suspendu, sous tension, à l’affut du moment ou elle tombera. Dans cette tension, l’opérateur et le spectateur sont égaux. Ils regardent la même chose. Ensembles.
Cette tension ne peut exister qu’avec le réel. Les dents de la mer conte l’histoire similaire à Roar d’une tension entre vie sauvage et humaine. Pourtant, le requin de Steven est faux, mécanique, et alors sans importance. Là où Steven doit narrer pour faire vivre, pour faire peur, Noel Marshall n’a besoin que de l’image.
La tension interne à l’image trouve de nombreux degrés de radicalité. Dans une moindre mesure, elle donne aussi cette teinte si particulière aux films qui font intervenir des enfants. Un enfant qui joue, on se demande toujours s’il joue vraiment ; on se demande toujours où il va aller. La manifestation la plus forte de cette tension tient dans le moment où elle frôle le documentaire, où il y a une collusion entre le réel et l’image. Et si elle ne fait pas un film entier, elle reste un fabuleux moyen de s’emporter.
Et pour me sortir de ces mots insuffisants, un extrait de Nostalghia :
où Andrei Tarkovski scelle le temps.