Vous vous souvenez ? C’était en 2011, ou quelque chose comme ça. A l’époque, on introduisait les premiers Samsung Galaxy Note, les grands, gigantesques téléphones de 5,3 pouces. Je me souviens, dans le bus pour le collège, cet ami qui avait un de ces téléphones qui nous paraissait à l’époque protubérant. Ce terme qu’on avait alors donné à l’époque : « Phablette », une téléphone et une tablette réunies. Et puis le temps a passé, les phablettes sont devenues la norme, et l’écran de l’iPhone Mini (5,44 pouces) est devenu… Mini ! 10 ans plus tard.
Il arrive, dans l’histoire de l’industrie humaine, que l’on ait fait des erreurs… Des produits aux propriétés miraculeuses qu’on a plus tard découverts cancérigènes, nocifs, mortels. Et si l’histoire du Téflon est facile à passer en film, rien n’est moins sûr pour l’histoire de nos téléphones et d’internet, qui est devenu, rien de moins prémonitoire, qu’une grande toile d’araignée où nous nous débattons chacun, pris et épris de sa beauté et de ses affres.
A 11 ans, j’avais un iPod Touch 4. A 11 ans, ma peau toute douce effleurait déjà ce verre composite. A 11 ans, je regardais des vidéos sur mon iPod, je jouais, je cherchais des choses sur le Web, je me perdais, déjà. Sans doutes avais-je des notifications, pour me dire de revenir jouer, que ma ville était finie d’être construite, que ça y est, maintenant, c’est maintenant. Plus tard, j’eu un BlackBerry et même un téléphone de chantier que je réussissais à casser. Comme un signe, la plupart de mes téléphones mourraient de morts accidentelles, le plus drôle ayant péri noyé dans ma poche, la batterie gonflée, alors que je pédalais gaiement sur les routes de mon enfance. Plus tard encore, j’eu un forfait 4G, internet illimité et partout, pas comme avant, à cette époque où on croisait encore des Hotspots wifis, où on demandait à ses potes en arrivant chez eux « ton code ? »
Un ordinateur est un objet que j’aime formellement. Loin de moi l’idée de rejeter en bloc toutes ces technologies, mais plutôt de les aimer à nouveau. Je me souviens, nostalgique, ces heures et ces heures passées sur Counter Strike a tuer mes amis pour de faux. Ce clavier, cette souris, cette douce idée du vieux PC fixe, poussiéreux, et de ces LAN entre amis. J’ai même un souvenir de trimbaler ma tour pour aller chez un ami. Mais qui ? Pourquoi ? Mystères de la mémoire…
Je me souviens aussi de recevoir mon iPhone 13 Mini, juste avant de partir aux États Unis. Je me souviens ce bonheur, de prendre des centaines de photos des canyons et merveilles de l’Ouest, d’avoir 35Go de 4G et de voguer au grès des recherches sur Google Maps, sans frustrations. Je me souviens aussi, pourtant, d’avoir finit par râler à la fin du séjour : pourquoi est-ce que c’était toujours moi qui finissait par guider tout le monde ? Et ne pas quitter cette écran des yeux, par peur de s’éloigner de l’itinéraire.
Mais lentement, 2 ans plus tard, mon iPhone n’était plus cet eldorado créatif qu’il fût. Ce n’était qu’une machine à stress, des discussions sans fin et sans bonjour le matin, puisqu’éternellement en cours. Des codes de temps d’écran, du noir et blanc, et toutes ces choses qui n’empêchaient en rien en moi ce sentiment : celui d’être aspiré, absent de ce monde, car toujours ailleurs, là bas, pris dans la grande toile. Et un constat simple : l’envie de broyer cette machine sous mes pieds.
Alors cette idée m’est revenue, celle d’avoir un téléphone plus simple, un « dumb-phone ». Remarquons l’évolution lexicale… J’en trouvai un, le magnifique CAT S22 FLIP, qui avait l’avantage d’offrir Google Maps, Spotify, et internet. Mais avec un format plus qu’inutilisable, donc presque Dumb ! Enfin, comme ce pote vous voyez ? Ni très smart ni très dumb, mais vraiment cool et sur qui on peut compter !
Dès les premiers jours, ce fût l’idylle. L’esprit de déconnexion mis en place par le téléphone envahissait ma vie en général, et rationalisa même davantage mon utilisation de l’ordinateur. Je me plaisais à sortir dans Paris, l’esprit affreusement libre, et à dire à mon père au téléphone : « je peux pas t’envoyer ça tout de suite, je fais ça en rentrant chez moi ! ». En rentrant chez moi… Car au fond, le problème, ce n’est pas l’iPhone ou le Web en lui-même, mais son omniprésence dans l’espace public. Comme si on emportait toujours avec soi tous ses livres et qu’on arrêtait pas de les feuilleter à chaque croisement de rue sans avoir le temps de lire une page.
Et alors, on redécouvre cette étrange vie analogique. J’écoute davantage mes vinyles, mais pourquoi ? Je lis plus de livres, mais pourquoi ? J’écris dans un carnet et je regarde les oiseaux chanter. Je m’ennuie en attendant de revoir mon ex, alors je dessine une fleur dans mon carnet bleu. Je dessine… Moi ?
Ma vie a drastiquement changé. Et puis à peine. Mais quand même. Je re-découvre des émotions de l’enfance, quelque chose d’indescriptible, comme un enfant heureux de découvrir le monde. Je pars en vélo dans les marais de Charente et je ne sais pas quel chemin prendre, alors j’essaye, je me perds. Je retrouve des amis, je les suis, sans savoir où je suis. Je rate des appels et ne rappelle pas, car au fond, je suis comme ce vieillard qui vient d’avoir un téléphone et qui ne comprend pas bien le principe… Pourquoi devrait t-on rester scotché à cet objet comme si c’était la réalité ?
Le jeu est là, devant moi, et plus dans ma poche. Je lui fais des blagues mais elle est ailleurs. Le plus étrange dans tout ça, c’est qu’il n’y a que moi qui y est. Je repense à mes grands-pères, morts sans avoir jamais utilisé ça. Quel sentiment étrange cela devait leur faire, de nous voir tous hors de ce monde.
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Excellent 😅
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