Une AeroPress, une cafetière à piston, un italienne, et un V60. Quatre cafetières, oui, le compte est bon. Quatre cafetières, et si je m’écoutais, au moins une de plus. Quatre cafetières, et pourtant pas moyen de bien faire du café pour deux. Quatre cafetières, c’est autant d’assiettes que dans mon appartement. Qui a autant d’assiettes que de cafetières ? Un minimaliste obsessionnel.
J’adore le café ! Le café, c’est mon grand rituel, et j’ajoute là ma cafetière de randonnée, qui pèse 9g et me permet de faire le malin au milieu des montagnes. Lorsque je quitte ma maison, rien ne va plus, et pire encore quand on va aux Etats Unis. J’adore le café, et je viens d’en boire une tasse, ce qui forme sans doute ce style découpé. Découpé, acéré, Café café café. J’adore le café et je me fournis comme un bourgeois rue de Varennes, auprès de petits brûleurs qui me tapent la discut’. Le café n’est pas pour moi, comme pour beaucoup, symbole de la sociabilisation, d’un petit café avec machin près du Luxembourg. Non. Le café se divise en trois catégories : le café qu’on fait (et pour lequel j’ai cinq cafetières à portée de main), le café du café de coin, et le café soluble. Le café de machine n’existe pas, je brûle les machines à café qui ont un fil.
La semaine dernière, je me réveille dans un lit qui n’est pas le mien. Je me réveille, je tourne un peu, et aussitôt, hop hop hop, je dois sortir du lit, pour courir à Malakoff où je vais chercher un client à bord de mon vélo (taxi). Et puis je suis seul, je n’ai personne à qui parler, alors je prévois de rentrer chez moi après Malakoff, bref, je ne bois pas de café… Grossière erreur bien sûr ! Car je manque de mourir plusieurs fois sur le trajet et tente de garder les yeux ouverts avec des cure-dents à la Mr Bean. Grossière erreur surtout, quand je me rends compte que je suis attendu à 11h, à un autre endroit, et que je ne pourrais pas repasser chez moi. Et là ! Et là… Le café de coin. Ou plus simplement appelé « le café » dans notre capitale. J’ai un quart d’heure, tout au plus 20 minutes, je m’assois seul dans mes habits professionnels. Je demande un allongé, et un croissant, car pour couronner le tout j’était vraiment à jeun ! Et là le serveur m’amène : un croissant du four. Ultime déception pensez vous ! Et pensais-je, par snobisme, un quart de seconde, avant de porter à ma bouche l’objet pâtissier. Croissant de Métro diront les connaisseurs… Mais croissant de Métro… Croissant du four… C’est les croissants de ma grand-mère ! Les mêmes croissant, oui exactement les mêmes croissants que j’ai mangé dans la cuisine au carrelage à motif défraîchie où à grandi mon père. Je suis dans ce bar de coin, et je mange les mêmes croissants. Je suis Proust ! Mais pas un Proust de luxe non, un Proust prolétaire. Et cela à toute vertu, car justement le goût que j’aime peut surgir de partout, et surtout dans ce petit café du 14ème.
Le café de coin, l’expresso et l’allongé seront irrémédiablement assimilés à cette période de ma vie. À aujourd’hui, à juste hier, à tous ces moments entre deux courses où je transporte nos amis aveugles, et où je bois un petit café, seul, romantique. Et je mentirais en disant que je lis du Proust ou du Jung ! Parfois je n’apprécie même pas, je regarde mon téléphone hébété. Mais le café parisien, et Paris, sera à jamais modifié en moi par cette expérience de la route. Mon Paris n’est plus celui de quand j’étais étudiant, il n’est pas celui des touristes ou des travailleurs du métro. Mon Paris, c’est tout Paris, des bouts de Paris et des adresses de clients que je connais par cœur, toutes ces routes qui s’entrecroisent et me permettent d’aller n’importe où sur un Vélib bourré sans même réfléchir… Le Paris des cafés, seul.
(Le café soluble, on y prendrait un plaisir coupable, qu’on n’avouera pas, et qu’on ne renouvellera pas. C’est pour les gens en prépa.)