4commaille

Il est toujours tentant, rétrospectivement, de romancer la première rencontre. Celle de l’occupant avec la chambre de bonne située au 6ème étage du 4 rue de Commaille avait alors, toute proportion gardée, l’aspect d’un coup foudre. Une seule visite conquis l’occupant, qui vit dans ces combles aménagées l’espoir d’une vie parisienne florissante. De retour en sa province, il imagina en ces proportions un mystérieux plan incluant un hamac dans la longueur. Par miracle, l’agent immobilier rappela.

L’occupant arriva en train, avec une veille valise sous le bras. Il ressemblait peu ou prou au jeune Bob Dylan, ce parfait inconnu, portant sur lui des habits de friperies qu’il trainait depuis le lycée. Il était jeune, arrogant, à la fois totalement sûr de lui et sans expérience aucune. Il ouvrit sa valise, emplit les placard de quelques effets, et se contenta d’abord de ce vide relatif. C’était aussi ça la jeunesse : ne rien penser du regard des autres, se croire abstrait à toute norme sociale, et vivre de rien.

Ho 4 rue Commaille ! Que tu as vu l’occupant vivre, que tu as vu l’occupant changer, en bientôt 7 années à ton bord. Car tu es, et tu restera toujours un bateau. Tu as les hublots, tu avais le hamac, et le vent s’engouffre dans tes velux comme gonflant la grand-voile. On vit à ton bord, de rations et de rhum, dans une solitude propice au meilleur recueillement. Allez aux Sables d’Olonne demander aux marins ce qu’ils pensent de cette solitude, et vous aurez un aperçu de la vie en ces lieux.

Tu as vu des amours naître et se déchirer. Tu as vu des voyageurs de passages, des amis d’amis, des inconnus venus se reposer en ton sein. Tu as vu des pleurs mais tu n’a rien dit à ceux qui venaient après. L’occupant a même abimé ta coque, d’un coup de colère, plusieurs fois. Mais les colères passent entre tes murs, et pour se rattraper, il a colorié ta proue en rose. Il t’a rempli de milles trésors comme la caverne. Des enceintes Bang & Olufsen de 1975 furent sa première trouvaille, et bientôt tu appris à apprécier les soirées qu’il fit tout seul à écouter des délinquants s’égosiller en toutes les langues. L’occupant n’appris jamais à chanter, et il remercia maintes fois ses voisins, qui bien qu’on entendit l’autotune comme en concert depuis la cour ne se plaignirent qu’une seule fois. L’occupant a toujours dans la cale son doudou, et tu l’as vu l’étreindre, dormir avec un ours sur la tête.

Tu as vu l’occupant lire toutes sortes de choses. Il lu son premier roman d’adulte à tes côtés, et le relu plusieurs fois. Il lu de gros volumes de Jung qu’il regrette d’avoir revendu. Des livres de psychanalyse qui t’effrayèrent. Et même si tu doutais parfois que l’occupant soit sur la bonne voie, tu l’as toujours gratifié de ton silence. L’occupant découvrit aussi chez toi l’usage du stylo, et tu le récompensa de cent idées pénétrantes. A cet instant même, l’eau frappe dans un bruit uniforme sur le velux, et l’occupant sait une chose : qu’il ne serait pas celui qu’il est sans toi.

4 rue de Commaille, tu as ouvert tes portes avec un code révolutionnaire connu de tous (1789), mais même une fois celui-ci changé, tu n’as cessé d’être un lieu d’accueil, de bavardages et de pensées communes. Tu as vu le jeune Jean-Baptiste déclamer des poèmes avant de saisir une perche pour enregistrer Pierre-Louis parler à couvert de la jeunesse de l’occupant. Tu as vu une femme chanter devant la lune. Tu as vu de folles réunions, jusqu’à 8 d’après la mémoire collectives, 8 êtres humains qui te donnèrent la réputation de forcer tout le monde à boire.

Tu as vu l’ivresse, bien sûr. L’ivresse des corps dansant, l’ivresse de l’occupant seul et exténué. Tu as vu des bonnes et des mauvaises habitudes. Tu as vu le corps de l’occupant changer, tu l’as vu cuisiner une Torte Della Nonna et beaucoup, beaucoup trop de pâtes. Tu l’as même vu boire du Kombucha pensant pouvoir annuler toutes ces années de dénutrition. Si il y a bien une chose sur laquelle l’occupant n’a pas changé, c’est bien ça : sa naïveté. 

Tu as vu l’occupant affalé devant son écran de montage et tu l’as vu partir pour montrer ses films aux autres. Tu l’as vu tenter de dessiner, tenter de chanter, tenter d’être quelqu’un d’autre. Tu as vu l’occupant changer de vêtement, changer de vaisselle, écrire et effacer des mots sur la porte des toilettes. L’occupant, depuis qu’il a commencé à t’écrire dessus, à toujours donné toute valeur à ce qui était écrit sur la porte des toilettes. Et actuellement il est écrit :

Vous ne croyez pas qu’on serait bien, si vous vous installiez dans l’aile droite sur cour ?
– Vous, vous le croyez ?
– Jouer aux échecs, jouer aux cartes, faire de la musique, la lecture, bien manger. Être ensemble, Henrik ?

Et comme toutes les histoires d’amour, on finit par dire « ce n’est pas toi, c’est moi ». Ha ! Que j’aimerai que l’on reste amis. Si seulement mon coeur pouvait me le permettre, je t’aurai gardé là, niché dans mon Paris imaginaire, à tout jamais. Mais je crois qu’il est temps que j’aille découvrir d’autres choses. Il est temps de descendre à terre, de se mettre en cale et de rencontrer les autres. Car en mer prime la solitude, tout accostage n’est que passager.

Parfois, on donne le nom d’un être aimé à son voilier. Et toi, tu sera maintenant le nom de ma maison de production imaginaire. 4commaille, car cela représente tout ce que je veux faire dans le cinéma.

Vogue ho petit appartement ! Vogue loin de moi et je pousserai tes voiles.

Je serais à terre, juste là, et je n’oublierai jamais ce que j’ai vu à ton bord.

une tentative limitée de logo

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