En présentant cet article à Jean-Baptiste, j’ai assisté à une étrange levée de bouclier. Je croyais pourtant dire des banalités, mais je n’en suis plus sûr.
BLACK MASS
Scott Cooper, aussi à l’origine du dernier film marquant de cette décennie, Hostiles (au côté de Wildlife), a réalisé en 2015 un film avec Johnny Depp qui joue un gros méchant de la pègre.
After 20 years working with Whithey Bulger, how would you describe him ?
I would say that he is… Strictly criminal.
Dialogue vers la fin, de mémoire.
Selon toute vraisemblance, Black mass, francisé en Strictly Criminal nous présente un homme noir (non en couleur), criminel. Tout tourne autour de Depp qui s’est pour l’occasion offert une calvitie ; et les bandes annonces nous montrent le sang, les muscles, les flingues.
Je regardais donc pour la seconde fois ce film avec mon père, qui a les chocottes. Comprenez, de son grand âge, il n’aime pas les films où ça chauffe trop. Quand le suspense ou la violence le surprend, il préfère, dans le confort de son salon, s’éclipser. Ainsi lorsqu’un mec va se faire planter les yeux ou autre scène immonde en arrivance, mon père part.
Devant ce film, il était prêt à bondir : la tension monte, les flingues se chargent, les gangs vont s’entretuer… Et rien. Non… quelques scènes de tortures certes, 1 ou 2 meurtres, mais rien de concret à se mettre sous la dent. Le film monte, monte, le suspense nous prend, puis tout retombe tranquillement.
On est presque face à une fausse promesse. Les bandes annonces, le titre, le casting, tout nous avait promis un film sur la mafia, le mal incarné par Johnny – Et nous l’avons eu, Cooper nous a fait vibrer. Pourtant, on sent quand même que tout ça est presque accessoire.
Prévalence du thème
Là est la subtilité de l’ami Scott : la pègre, ça ne l’intérèsse qu’à moitié. En tant que bon réalisateur, il donne à manger au spectateur, mais en tant qu’auteur, il rajoute un petit composé d’épices, qui fait toute la différence. En réalité, Black Mass ne parle pas que de Johnny. A côté, nous avons aussi Joel Edgerton, Cumberbatch, Rory Cochrane qui tiennent des rôles déterminants. Benedict est le frère de Johnny, quand Edgerton (qui travaille à la CIA) est un ami d’enfance. Cochrane est le second couteau, lui aussi gamin du quartier.
Le plot, repose sur les liens inaliénables qui lient les petis garçons qui ont grandi ensemble. Ils ont pu, dans le passé, s’aider ou se détester, et continuent encore à s’admirer et se manipuler. Sous le sujet markété, l’amitié, cette forme particulière, est ce que le film raconte. Et c’est ce qui nous touche (enfin moi…) ; Pour sûr, c’est aussi ce qui touche le plus profondément Scott.
Nous partions donc d’ici,
SUJET (ce qui se passe) : Whithey Bulger, la pègre, la CIA.
THÈME (ce qu’on raconte) : L’incarnation du mal.
Pour arriver là,
SUJET : Johnny, le mal incarné et la CIA.
THEME : Le caractère inaltérable des liens créés dans l’enfance, entre hommes.
Et c’est là que JB bondit ! Car oui… Thème, sujet, ces mots sont nuls. Plus que nuls. Evidemment, Il n’y a pas qu’un thème. Il n’y a pas qu’un sujet. Et c’est là la limite de mes bavardages. Quoique…
The spine
Someday, someway you’ll realize that you’ve been blind
Brooke Benton susurrant à l’oreille des scénaristes.
Yes darling, you’re going to need me again
It’s just a matter ofTimeSpine
Dans son livre The creative Habit, Twyla Tharp consacre un chapitre entier à the spine, littéralement La colonne vertébrale. Elle explique que toute oeuvre doit avoir une colonne, un thème profond qui peut être totalement invisible au spectateur mais maintient l’oeuvre. Cette colonne, est la plupart du temps présente, et c’est elle qui donne sa cohérence à tout oeuvre ; elle peut très bien ne pas être rationalisée par l’auteur, qui guidé de son inconscient, maintient le cap.
Ce que dit Twyla, c’est que l’auteur gagne à la formaliser, à la connaître. Car si il sait ce qui fonde mon oeuvre, il aura toujours une toujours une base claire au moment de faire des choix, dans la panique.
Sydney Lumet, réalisateur de son grade, parle lui aussi d’un thème. Dans son livre sur le cinéma, Il explique que chacun de ses films se résume en une phrase.
12 Hommes en colère : Ne vous fiez pas aux apparences.
Deux exemples de mémoire.
A bout de course : Qui hérite des choix fait par les parents ?
L’ami Sydney propose de formaliser cette phrase, puis de trier le film sous son seul prisme. Il explique que chaque scène n’y contribuant pas, doit être virée, mais aussi que chaque réplique et que chaque mot (allons-y!) doit être analysé, pesé, jugé à partir de cette simple phrase.
Est-ce-que la simplicité de cette phrase donne des films trop simples et trop guidés ? NON. La phrase de Lumet n’empêche en rien une intrigue saugrenue et des temps calmes dans le film, elle donne par ailleurs un sens à l’oeuvre, un thème profond, marquant, éternel.
Ironiquement, ce sens n’est que peu souvent formalisé par les spectateurs, mais il les marque, les saisit, comme j’ai été saisi par la représentation de l’amitié d’enfance dans Black Mass. Je m’y retrouve ; au même titre que dans l’idée de la famille dans une non moins connue trilogie.
Mein Process
Si cette idée m’intérèsse particulièrement, c’est qu’elle a été pour moi le siège de bien des étonnements, et je veux parler ici de mes films. Je crois comprendre que bon nombre de personnes écrivent en partant du thème : ils disent « Ah et si j’écrivais un film qui parle de LA MORT », et puis ils trouvent ensuite un moyen de faire mourir leur personnage.
Tout en croyant fermement à la nécessité de la colonne, je ne fonctionne pas comme ça. (Sans doute que vous non plus, je parlerai de moi et puis vous me direz pour vous !)
D’abord, je ne sais pas de quoi je parle. Une idée arrive, lancinante dans mon esprit. Une idée de sujet donc : des scènes, des paroles, des choses on ne peut plus concrètes. Flairant le filon, je décide alors de prendre note puis commence à rédiger du scènique, des choses qui se passent. C’est alors que je découvre un sujet, que je décide d’approfondir.
Pour Paul et Elle et Corps, cette étape fût globalement inutile, expliquant toute la jeunesse de ces créations ; mais pour mon scénario de long métrage For a walk et pour un autre court, je suis parti dans de grandes recherches : livres, articles scientifiques etc… qui m’ont permis de creuser le sujet jusqu’au point ou je pensais en avoir assez. Pour For a walk, j’ai donc alterné ces phases de recherches avec l’écriture.
Mon sujet globalement connu, je reprends mon scénique jusqu’à arriver à un scénario. Et là, après quelques jours de repos, surprise surprise : je commence finalement à comprendre mon thème, la colonne.
J’arpente encore et encore le script jusqu’à en comprendre les nuances, pour finalement tout synthétiser dans une fameuse phrase à la Lumet. C’est alors que je commence l’étape dite de l’élagage, où je façonne, coupe, tronçonne dans le script pour arriver à quelque chose de cohérent.
Evidemment, tout ça est assez hypothétique et imagé.
Passé cette écriture et gardant les idées claires, je réalise le film en pensant à mes personnages, leurs actions etc. Lors du tournage, je ne pense qu’à mon sujet, mais le « thème » qui m’a permis de former ce sujet, de le rendre plus pertinent, reste toujours dans le fond de mon esprit. J’essaye surtout de faire que l’équipe et moi soit sur la même longueur d’onde, car si eux parlent d’autres choses, le film est mort.
Surprise surprise. Quelques mois après avoir réalisé le film, rassuré alors de ma connaissance de la colonne, je me rends par ailleurs compte que je l’oublie, ou du moins, je ne la voit plus comme avant. Lorsque je regarde mes créations passées, je peux y voir rationnellement ce que je pensais être le thème du film, mais je crois aussi que je m’en fous, et que je ne cherche plus du tout à savoir si cela est vrai ou faux. Les enfants grandissent, j’imagine.
Adresse au spectateur
Dernier point pour relever mon sujet : une étude du cas Paul et Elle.
Je pense donc le film, tout finaud en me disant que Paulo se fait sa soeur. J’écris donc le film, puis me vient à l’esprit son thème, qui n’a rien à voir avec la question de l’inceste.
Nous tournons le film, nous basant toujours sur ce qu’il présente de plus prosaique. La question de l’inceste est pour nous bien accessoire. Je la vois comme une petite piroutette de scénario qui nous intérèsse bien moins que la scène du chant par exemple. Je sais parcontre que c’est ce qui tient le film, un prétexte pour maintenir en éveil mon public et pour faire l’intéressant. La fin, « faisons l’amour » est bien sûr d’une importance capitale.
Surprise Surprise. A la projection, je me rends compte que beaucoup de personnes s’attachent au sujet de l’inceste… Et c’est bien normal ! Certaines personnes m’ont rapporté s’être questionnées sur la relation à base de “si ils ont grandi ensemble” “si ils n’ont pas le même sang” etc… Et moi je dit : marrant ! Car je n’ai jamais souhaité poser ces questions, qui ne m’intérèssent pas vraiment. J’ai seulement souhaité montrer l’ambiguité, filmer une situation cocace.
Il fût alors très surprenant de découvrir que ce n’était pas le cas de tous. Malgré ma bassesse, je vous aimes chers spectateurs.