Tout le monde le sait, les humains aiment se raconter des histoires. L’art de raconter des histoire, le storytelling est à la base de la pub comme du cinéma, de ton oncle à Noël et de Squeezie.
L’histoire nous touche.
Dans le cinéma, l’émotion que génère l’histoire est la première base de compréhension, c’est elle qui nous maintient. De là notre rejet des, certes intéressants mais irregardable films expérimentaux. De là notre notre endormissement devant Tarkovski.
Mais même si l’histoire (la narration) est sa base, un film n’est pas exempt de pensée. Globalement, n’importe quel film exprime UNE idée. Ou une multitude. Un film réussi tend inlassablement vers un but, un questionnement moral ou une ambiance à jamais marquante. C’est justement l’idée, la pensée derrière l’histoire, qui rend le film notable.
En prenant ce référentiel, le souvenir opposé à la plastique, un film raté serait celui qui a oublié son but. Il peut être l’achèvement parfait, magnifique, poignant : un film raté s’oublie, car il n’est que la somme de ses courbes narratives.
On raconte toujours les mêmes histoires
Le film raté, prenons la plupart des Marvel, peut être un profond délice à regarder. On peut aussi s’en souvenir pour la beauté de l’expression d’une émotion : la traîtrise, la peur, l’amitié. Mais on ne s’en souviendra que pour ça : son universalité. Le film n’avance rien de plus.
La narration peut suffire dans le cas d’un Marvel : 2h30 de thrill absolu, cela n’a rien de raté ! Mais le vrai problème, revenons à notre sujet, c’est l’extension de la narration.
La narration ne suffit pas
Games of Thrones, Walking Dead, toutes les bonnes séries avancent sans doute quelques pensées, quelques émotions complexes, mais elles sont malheureusement trop diluées, perdues dans cet enchevêtrement d’émotions fortes. Inlassablement, ces histoires sont belles, mais rendues futiles. C’est la catharsis qui dépasse les bornes.
Regarder une série, ce n’est que voir trop de connu (la narration) pour pas assez de payant (la pensée, l’émotion complexe). La narration suffit mais sa longueur la tue. L’histoire nous transporte, nous construit, mais il convient peut être de savoir quand elle est trop longue.
Le cinéma, sa pratique raisonnée loin de l’Autoplay de Netflix, apporte donc cette modération. En le temps d’une série, on peut voir 5, 10, 50 Films, 50 visions différentes. Pourquoi suivre cette narration sans fin ?
C’est pas ma vie
L’étendue de la narration touche un autre aspect de notre vie. Elle s’apparente ici à une multiplication. Chaque post, chaque story est une histoire en soi. Les réseaux sociaux sont des catalogues de mini-narration, vidées plus encore de leur contenu sensible. Evidemment elles nous passionnent, mais la multitude, encore une fois, nous dépasse.
Car le vrai problème, c’est que dans l’histoire, l’humain oublie la sienne.
Qui n’a jamais plongé dans un film pour passer un chagrin ?
L’histoire nous soustrait à notre vie. Et la question d’un trop plein de narration n’a rien à voir avec une perte de temps, elle touche plutôt à une perte d’envie. On relève la tête se disant que notre vie n’est pas palpitante, que l’on ferait mieux d’aller se coucher. Nous sommes fatigués des aventures transposées de l’écran, car notre capital d’énergie, s’use autant de nos émotions que de celles des narrations.
Voir trop d’histoire, c’est ne plus avoir de force pour mener la sienne. Le cercle est vicieux.
Le seul moyen d’exister dans ce paradigme est de faire passer son histoire avant celle des autres : partager sa vie sur les réseaux sociaux. L’énergie si durement acquise, n’est alors utilisée qu’à des fins narratifs : on raconte sa vie aux autres plus qu’on ne la vie.
Les histoires ne sont pas toujours bonnes
Nous sommes donc face à un double problème : dans un premier temps, l’appauvrissement par les nouveaux médias de l’histoire, sa réduction au simple acte narratif.
Corrélé à cela, son extension, sa multiplication jusqu’au bornes de l’acceptation possible, ne donnant plus de choix qu’à l’opposition : c’est dire ou écouter.
Où s’arrête l’histoire et où commence la vie ?